Savoir revivre de Jacques Massacrier Savoir revivre de Jacques Massacrier

Savoir revivre - Interview de Jacques Massacrier

Savoir revivre

de Jacques Massacrier

1973, Albin Michel

Grande nouvelle ! Le livre est à nouveau édité, dans une qualité comparable à celle d'origine !
Vous pouvez le commander aux Editions du Devin ICI.

Interview de Jacques Massacrier sur RTL

(Le 25 juin 2011)
C'est ici.


Interview de Jacques Massacrier

(Le 13 août 2007, par email)
Jacques Massacrier 2007, interview
FM - Vous avez publié votre livre "Savoir revivre" en 1973. 34 ans plus tard, quel regard avez-vous sur lui ?

Jacques Massacrier - Chaque page me rappelle des aventures, des tâtonnements, mes méprises, des fiascos, mais aussi les réussites, les bouffées de bonheur et les plus belles années de ma vie. Des années où tout avait un sens, où l’on maîtrisait l’existence, où notre consommation dépendant essentiellement de notre production, où les problèmes se résolvaient en douceur après une nuit de sommeil ou le coup de main astucieux du voisin… Quand je feuillette Savoir revivre, je revois ma famille et mes amis de l’époque… Que du beau monde, que du bonheur !

FM - Dans "Le goût du temps qui passe", vous décrivez votre vie du début des années 70 à Ibiza. Pouvez-vous raconter en résumé ce que cela est devenu ?

JM - On a vécu vingt ans selon le même principe : tendre vers l’autarcie. Puis, les enfants ont pris des distances. Ils ont construit leurs propres maisons et ont monté une entreprise de construction et restauration des maisons traditionnelles de l’île. Ensuite, ils se sont mariés à des Thaïlandaises. L’aîné, Joël, s’est finalement installé en Thaïlande où il fait de la pisciculture. Son frère Loïc est revenu à Ibiza avec sa fille et il continue à œuvrer dans la construction traditionnelle… Moi, j’ai eu un sérieux problème avec mes jambes : une polynévrite incurable. Impossible de continuer à travailler la terre, à soigner mes plantes, mes arbres, les animaux. Je voyais la ferme se dégrader et Greta s’épuiser à vouloir me remplacer… Alors, on s’est installé dans un appartement au village et maintenant, à 74 ans je me consacre entièrement à l’écriture. Greta a son petit jardin sur la terrasse et de notre vie passée, on a conservé les réflexes : pas de gâchis, pas de besoins futiles, content de peu n’a rien à craindre comme disait Lao Tseu.

FM - Avec le recul, comment voyez-vous le mouvement "baba-cool" qui s'est développé dans les années 60 ?

JM - Ah, les baba-cool ! Il y a un tel mépris dans ce terme. Ils avaient pourtant le pressentiment que notre civilisation allait à la catastrophe. Mais ils prenaient un peu trop de liberté avec les mœurs et les paradis artificiels, ils étaient contre la guerre, contre la société de consommation, contre tout le système… Ils ont été décriés, conspués… Puis, les hippies ont vieilli, ils ont perdu espoir. Ils ont baissé les bras et ont plus ou moins pactisé avec leurs détracteurs… Il faut bien vivre… Après nous, le déluge !

Ça s’appelle un coup d’épée dans l’eau. Comme Savoir revivre qui a suscité de nombreuses velléités et quelques rares résolutions.

FM - Dans l'introduction du livre (voir la page d'accueil du site) vous donniez votre point de vue sur la société. Quel est votre point de vue aujourd'hui sur la société actuelle ?

JM - Peut-être que les consciences se réveillent. Le réchauffement de la planète, le film d’Al Gore, les gesticulations de Nicolas Hulot, la pollution des nappes phréatiques, ça fout la trouille… Oui, je sais, on fait un effort, on ne laisse plus couler l’eau quand on se lave les dents… Mais un bon bain, le soir en rentrant du boulot, ce n’est jamais que cinq à huit cents verres d’eau.

FM - Vous aviez 36 ans en 1969 quand vous avez décidé avec votre famille de quitter Paris pour aller vivre à la campagne à Ibiza. Si vous aviez 36 ans aujourd'hui, que feriez-vous ?

JM - Dès le départ, je ne me lancerais pas dans la course stupide des spermatozoïdes. Et si j’avais maintenant 36 ans, je ne sais pas ce que je ferais sachant ce que je sais… Clochard ? Terroriste ? Junkie ?

FM - Que pensez-vous des mouvements politiques actuels tels que la décroissance ou l'altermondialisme ?

JM - La mondialisation néolibérale a commencé en 1944 avec le débarquement du rêve américain. C’était évidemment préférable au rêve nazi, mais le chewing-gum, les cigarettes blondes, les bas en nylon, les films de cow-boys ont fait quelques ravages dans les esprits frustrés de l’après-guerre. Puis, le plan Marshall est arrivé avec l’équivalent de cent milliards de dollars actuels. La condition principale étant la libéralisation économique et que l’argent sert à acheter des produits de l’industrie américaine. On a vu arriver des chars transformés en tracteurs avec toutes les techniques américaines pour l’agriculture, l’industrie et le commerce… Ça fait plus de soixante ans que la mondialisation fait des ravages. On pourrait assez rapidement améliorer les techniques avec du recyclable, du renouvelable, du biologique, mais les mentalités, c’est une autre paire de manches. Il faudrait des générations, et on n’a plus le temps.

Je ne veux pas faire de l’antiaméricanisme parce que les Américains sont les premiers piégés. Ils commencent à le réaliser.

Mais la politique mondiale est trop attachée à la croissance économique, l’expansion à tous crins. Quel est le chef d’État qui osera dire : « Halte à la croissance ! »

FM - Connaissez-vous Pierre Rabhi qui a quitté Paris dans la même période que vous et pour les mêmes raisons ? Qu'aimeriez-vous dire de ses choix, ses actions ?

JM - Je connais trop peu ses actions pour en parler. Il est un fait que nous avons quitté Paris dans la même période, mais je suis resté très longtemps concentré sur mes propres interrogations, confiné au fin fond de mon île avec ma famille et quelques amis sans radio, sans journaux, pratiquement sans nouvelles. Cependant, en 1975, j’ai trouvé le petit livre de Jean Pain Un autre jardin. J’étais enthousiasmé et je suis allé le voir à Villecroze. Il m’a fait part de ses expériences et j’ai appliqué ses méthodes qui ont donné d’excellents résultats avec très peu d’eau… Mais il avait trop de détracteurs et ses méthodes n’ont pas eu le succès qu’elles méritaient, surtout en France.

FM - Que pensez-vous des initiatives actuelles telles que les "écovillages" ?

JM - Le principe est extrêmement intéressant à condition que ça ne tombe pas dans un mysticisme échevelé.

FM - Vous avez une boutique électronique sur Internet. Utilisez-vous par ailleurs Internet et pour quoi ? qu'en pensez-vous ? Est-ce un outil indispensable ?

JM - Oui, je trouve qu’Internet est un outil indispensable, incontournable, écologique et culturel. Le courrier électronique et les journaux en ligne économisent des forêts de papier. Les moteurs de recherche (Google en particulier) sont des sources d’informations inouïes dont on ne saurait plus se passer. Avec Internet, on retrouve des amis, on multiplie les échanges, on écrit davantage, on n’est plus isolé nulle part et j’attends avec impatience le livre électronique où l’on pourra avoir toute une bibliothèque sur un format livre de poche. Et les petits ordinateurs à la portée de toutes les bourses… La démocratisation de la culture.

FM - Votre livre avait été un grand succès lors de sa sortie. Suscite-t-il aujourd'hui toujours beaucoup d'intérêt (comme cela semble le cas à travers ce site) ? Quel sens y voyez-vous ?

JM - Comme je l’ai déjà dit, il a suscité de nombreuses velléités et quelques rares résolutions, mais il est certain que maintenant, la situation s’aggravant, il fait réfléchir davantage. D’autant que les techniques douces ont largement évolué. Ce qui était un retour à des méthodes primitives peut maintenant se concevoir avec l’aide des énergies renouvelables, de méthodes actuelles de culture biologique. Et pourquoi pas le troc par Internet ?

FM - Votre livre a été traduit en de nombreuses langues. Quel succès a-t-il dans le monde ?

JM - Je ne sais pas s’il a encore du succès dans les pays où il a été publié. Il est toujours en vente en Espagne 30 ans après sa première édition (Vivir otra vez en castillan et Tornem a viure en catalan). Il a été best-seller plus d’un mois en Catalogne. Je sais d’après des courriers qu’il est toujours apprécié en Belgique et en Hollande. L’édition américaine se trouve encore dans certaines librairies spécialisées dans l’écologie. Quelques courriers récents de Nouvelle-Zélande et un fanatique du Brésil. C’est à peu près tout ce que je sais.

FM - Pensez-vous que le monde a une chance de "revenir à la raison" avant qu'il ne soit trop tard ? Comment voyez-vous l'avenir ?

JM - Sombre. Si j’étais cynique, je dirais : faites la guerre, pas l’amour ! On est trop nombreux sur cette terre. Et quand les Chinois et les Indiens auront tous leur voiture qui fonctionnera avec le pétrole du pôle Nord, on suffoquera tous en beauté. Les mentalités ne vont sûrement pas changer en un clin d’œil. À moins… À moins que d’énormes cataclysmes éveillent les consciences. Mais il faut combien de morts pour qu’on rectifie le tracé d’un virage dangereux ?

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